Fragments : interview de Maxime Garbarini

Ecrit par BennyB le 03 juillet 2023

Nous avions rencontré Maxime Garbarini il y a quelques années lors d’une interview au festival Quai des Bulles. Il nous avait présenté « Heroics », une grande saga familiale autour du mythe du super-héros. Aujourd’hui, l’aventure continue !

Une campagne est en cours sur Ulule pour financer le deuxième tome, qui sera inclus dans « Fragments », un ouvrage collectif comportant plusieurs histoires différentes mais inter-connectées, comme les pièces d’un puzzle.

Il nous en dévoile plus sur ce projet atypique et ambitieux, ainsi que sur le monde des éditions indépendantes. Séance interview !

 

Bonjour Maxime ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Hello, je m’appelle Maxime Garbarini, je suis graphiste en freelance à Paris et dans mon temps libre, auteur, illustrateur et si tout va bien éditeur de BD et plus précisément de comic books. Je m’intéresse aux dimensions, au format feuilletonnant et à la thématique des super-héros qu’on retrouve dans les comics books américains notamment.

 

Il y a quelques années, tu nous avais présenté  « Heroics ». La suite sortira dans « Fragments », un ouvrage collectif comportant plusieurs histoires connectées entre elles. Comment est venue cette idée ?

« Heroics » a toujours été pour moi une porte d’entrée dans un univers que j’imaginais plus vaste, plus riche et plus complexe. Avant même de sortir la première saison, j’avais déjà en tête certaines histoires sous forme de pitchs, qui associaient un personnage, un genre et une ambiance différente. Alors que j’écrivais la suite de « Heroics » j’ai commencé à établir des liens plus étroits entre cette série centrale et les spin-offs que j’imaginais, pour faire en sorte que chaque série soit reliée aux autres. J’ai développé un peu plus les pitchs, étoffé les personnages et créé un logo pour chacune d’entre elles. En gros j’ai mis en place les balises de ce qui pourrait devenir une petite ligne de comics, à la fois variés et cohérents.

 

« Fragments » : face B, couverture des trois séries spin-off

 

Les quatre histoires de « Fragments » seront réalisées par différents auteurs et autrices. Peux-tu nous les présenter ?

Sebastien Barré, dit Sebba est aux dessins sur « Vengeance of the Whisper ». Certain·es le connaissent peut-être pour son excellent travail sur « Le privé », paru comme pour le premier tome de « Heroics » chez Northstar Comics. C’est au fil des salons et festivals que nous sommes devenus amis et dès le départ j’étais, et je suis encore, convaincu que Sebba ira loin. Je retrouve dans son style du Frank Miller ou du Michael Avon Oeming comme ils les citent parfois, mais j’y vois aussi du Sergio Toppi ou du John Paul Leon, deux artistes incontournables à mes yeux. Mais sans même devoir le comparer, il a développé un style de dessin incroyable, vif et expressif dans les traits anguleux, les textures, le découpage incisif et audacieux, les personnages aux gueules cassées.

Tout me plaît dans son travail, car il est à des années lumières de ce dont moi je suis capable. La collaboration se passe super bien, chaque planche et chaque case visent juste et améliorent mon script à un point qui me laisse ému et fier que mon histoire puisse l’inspirer. Son style urbain et texturé convient parfaitement au thriller qu’est « Vengeance of the Whisper ». Cela raconte l’histoire d’un ouvrier écrasé par le système et qui met (enfin) ses pouvoirs au service de son propre intérêt, quitte à laisser de nombreux cadavres sur son passage.

 

Lucia Saldutti illustre « Blood Rose ». C’ est une jeune dessinatrice italienne dont j’ai découvert le travail sur la plateforme ArtStation. En quelques illustrations son style m’a complètement convaincu. Il y a une forte culture BD en Italie évidemment, mais ces dernières années on sent un intérêt des artistes italiens pour les récits type comics, et je pense que Lucia représente le meilleur de cette fusion. De plus, c’est une grande fan de manga, et notamment de Slam Dunk et on sent qu’elle maîtrise la tension, les attitudes naturelles et élégantes de ces personnages, et son encrage est tellement parfait, fluide et précis. Ses couleurs sont également superbes. On sent qu’elle pense à l’ambiance avant tout, que les couleurs sont en parfaite cohérence avec le rythme et l’intention de la scène ce qui pour moi est essentiel.

Nous communiquons surtout par écrit, en anglais mais on a très vite réalisé que le récit de « Blood Rose » nous inspirait les mêmes références, les films d’Hitchcock, les romances hollywoodiennes glamour des années 50 mais aussi le côté torturé de héros comme Daredevil ou Black Mamba (de « Kill Bill ») pour qui la violence n’éteint pas leur propre douleur. On s’amuse beaucoup avec Lucia à développer ces deux facettes de « Blood Rose » : une romance attachante qui vire à la vendetta mortelle.

 

Enfin sur « Dreambrother » c’est Sebastian Carrillo Cortez au dessin, un très jeune auteur et artiste péruvien que j’ai aussi découvert via sa page sur ArtStation. Là aussi c’était une énorme claque. Dans un style totalement différent de ce que j’avais en tête à la base, Sebastian ne semble se donner aucune limite, il explore, teste et ose pousser son trait hors des conventions. Et le pire c’est que cela semble lui être facile. Je pense que son âge lui permet de ne pas être encore formaté par des années de lecture et de pratique et au contraire, sa curiosité artistique est fascinante à observer. Pour quelqu’un d’autodidacte comme moi, c’est vraiment impressionnant. Outre une facilité à passer d’un style très expressif à quelque chose de plus simple voire abstrait, il a en plus un goût pour le cadrage et la narration inventive, un peu à la manière de David Aja qui a su amener des codes très « indé » à un super-héros classique, voire banal comme Hawkeye.

Pour « Dreambrother », Sebastian s’éclate car le récit met en scène un détective dont les pouvoirs le rattachent aux ondes qu’émet le cerveau quand il rêve. Sans empiéter sur le territoire de Sandman, notre héros se connecte à ses émotions et son imagination, avec les conséquences que ça peut avoir sur sa propre perception de la réalité. Cet aspect psychédélique est je crois un terrain de jeu parfait pour le talent polymorphe de Sebastian.

 

Et pour finir je poursuis moi-même l’aventure « Heroics », où l’on retrouve notre presqu’équipe enfin rassemblée, mais qui vient de subir un cuisant échec. Comment vont-ils se relever, et évoluer, là est toute la question. Depuis la saison 1 je pense que mon dessin a un peu évolué vers quelque chose de plus organique, moins “posé”, du moins je le souhaite. Je travaille cette fois les storyboards au crayon mais les pages sont réalisées en numérique, ce qui me permet d’être un peu plus téméraire dans certains choix de cadrage ou d’encrage. J’ai encore énormément à apprendre bien entendu mais je pense que mon point fort reste les émotions et l’acting de mes personnages. C’est un des compliments qui est revenu assez souvent à la suite de la première saison : apparemment je crée des personnages attachants.

Mais un conseil, ne vous attachez pas trop quand même… le pire reste à venir !

 

A qui s’adresse cet ouvrage ?

L’idée est avant tout de plaire aux fans de BD en général, et aux fans de comics en particulier qui ont déjà l’habitude des univers partagés où plusieurs sensibilités artistiques peuvent cohabiter.

L’initiative de développer en parallèle plusieurs récits de genres différents est assez audacieuse en France à notre niveau. On met en parallèle de la fresque super-héroïque familiale, du thriller social, en passant par la romance/vengeance et du polar sous acide. Il y en a un peu pour tous les goûts et certain·es auront une préférence pour une histoire plutôt qu’une autre mais on essaie de viser le fameux adage d’Aristote qui dit que le tout est plus grand que la somme des parties. Autrement dit, on espère que la connexion entre les histoires, juxtaposée à ce qui justement les différencie, crée l’envie de poursuivre l’intrigante aventure globale. Parmi nos exemples d’expériences éditoriales on peut citer « Midnight Tales », « Infinity 8 » ou encore « Les Autres Gens ». Toutes avaient en leur ADN la force du collectif rassemblé autour d’un seul et même récit fleuve.

Par ailleurs, si nous parvenons à dépasser nos objectifs de campagne, nous espérons pouvoir proposer « Fragments » également en italien et espagnol, en plus du français et de l’anglais.

 

« Fragments » sera publié par le label associatif « Close Call Comics » que vous avez créé récemment. Pourquoi ce choix éditorial ?

Précisément pour avoir une proposition cohérente face au lectorat. Chaque histoire que nous publierons s’inscrit dans un seul et même puzzle. Certains verront ça comme une limite. C’est une contrainte certes ambitieuse mais super inspirante : on crée un grand bac à sable commun pour différents artistes, et j’espère auteurs ou auteures puissent venir y jouer.

Mon expérience en solo sur mon webcomic, puis au sein de Northstar Comics m’ont permis de réaliser que c’était ça mon rêve en fait. Me donner plus de moyens pour raconter plus d’histoires et travailler avec d’autres auteurs et artistes dont j’admire le travail.

 

Comment se passe votre travail au sein de ce label ?

Nous sommes une équipe un peu informelle pour le moment car vraiment dispersée géographiquement. Mais Alexandra Ramos m’a rejoint en novembre pour assurer la partie stratégie de communication et partenariat. Aurore Schmid apporte un soutien en termes de développement et de choix éditoriaux, quant aux trois artistes je communique avec eux chaque semaine, en français et en anglais. Nous avons un espace en ligne dédié où nous partageons les ressources nécessaires, scripts, logos, visuels, références, etc.

 

« Fragments » : face A, couverture de « Heroics »

 

Comment peut-on se procurer « Fragments » ou le premier tome de « Heroics » ?

Le moment est crucial pour nous, car nous avons jusqu’au 12 juillet pour boucler la campagne de financement, et nous en sommes à ce jour à 50% de l’importante somme à rassembler (importante car nous avons pris le parti d’assurer une rémunération correcte aux trois artistes). C’est donc en rejoignant et en partageant cette campagne que vous pourrez nous aider à lancer et diffuser Fragments. Le premier tome de « Heroics » est d’ailleurs proposé dans plusieurs packs de la campagne, tout comme des illustrations exclusives de Lucia, Sébastien, Sebastian et de moi-même et d’une star incontournable du comics, un certain Olivier Coipel, qui comme pour le premier tome de « Heroics » nous fait l’honneur d’un dessin de maître.

 

Faut-il s’attendre à d’autres tomes de “Fragments” ?

Je reste prudent pour éviter les effets d’annonces, et je vois bien avec cette campagne de financement passionnante mais difficile que la réalité a vite fait de remettre en cause certaines ambitions.
Cela dit, oui : le concept initial de Fragments est  « simple » : La seule série dite « continue » reste « Heroics », et tous les trois numéros, les trois mini-séries prennent fin et sont remplacées par d’autres : avec de nouveaux personnages, de nouveaux genres à explorer et surtout de nouveaux artistes à découvrir.

Pour information, il y a en tout déjà douze mini-séries en pré-production avec chacune un ou une artiste associée !

 

Rendez-vous sur Ulule pour soutenir ce super projet ambitieux :
https://fr.ulule.com/fragments-01/

Vous pouvez aussi suivre « Fragments » sur leur page Instagram, Facebook et TikTok !

 

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BennyB

Co-fondateur de la Loutre Masquée, il est né en 1743, un samedi. Son but dans la vie : rendre le monde meilleur, avec des sites internet à base de loutres. Et il trouve que Spirou a vachement plus la classe que Tintin, quand même.

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