Le dernier Bal

Ecrit par MNC le 01 juin 2021

Figurant parmi les derniers géants de l’illustration jeunesse avec les Georges Lemoine, Jean-Jacques Sempé et autres Philippe Corentin, le Lyonnais Jean Claverie (1946) nous revient aujourd’hui avec un petit album paru chez Albin Michel Jeunesse au premier trimestre 2021. Comme toujours, que ce soit dans son discret domaine érotique, ses lumineux croquis de voyage ou dans ses livres destinés au jeune public, l’art de Jean respire pleinement la légèreté. Si Jean Claverie avait été fauve, il aurait été Raoul Dufy. Impressionniste, il aurait été Henri Lebasque.

Porté par la grâce de l’aquarelle comme par la rondeur de son crayonné bonhomme et souple, l’artiste élégiaque mué ici en fabuliste entraîne le jeune et moins jeune lecteur dans un court récit de 24 pages mêlant images pleine page colorée à l’aquarelle, culs-de-lampe en valeur et courts pavés de texte agréablement typographiés.

Simple et joyeusement philosophique comme une bande anthropomorphique du regretté Raymond Macherot, cette fable symbolique des Trente glorieuses évoque avec nostalgie la lutte aujourd’hui perdue entre le localisme commercial et la grande distribution, l’habitat séculaire et l’urbanisme contemporain, l’économie de troc et la marchandisation croissante des besoins.

Quel est son enjeu ? Une guinguette appelée à disparaître pour faire place à un hypermarché.

Les protagonistes ? D’un côté, Ratiboise, un rat des villes représentant le capitalisme invasif et individualiste. De l’autre, une petite communauté agreste et soudée. Subtilement, l’auteur évacue les solutions poujadistes suggérées en réaction à l’ambition de Ratiboise et en sort par le haut : l’organisation d’un bal à la guinguette. Ce sera le dernier, avant la destruction annoncée des lieux. Celui où tout se cristallise.

Qui gagnera, du capitaliste Ratiboise ou du couple de tenanciers de la guinguette ? Perdurera-t-elle, l’harmonie heureuse de cette petite communauté villageoise, synonyme de plaisirs simples, de cueillettes et d’échanges simples ? Qui vaincra, de cette harmonie solidaire ou de cet appétit solitaire ? Du plaisir collectif ou de l’avidité financière ?

La chute finale est à l’image de ce petit bijou : jolie et souriante. Aussi, parents, son auteur vous invite à entrer dans la danse. Son petit pas de côté s’avère une discrète leçon de morale binaire, de surcroît fort joliment illustrée. Comme quoi, dans ce domaine du livre jeunesse, irriguer de beauté les yeux du jeune lectorat n’est pas antinomique avec le fait de véhiculer une leçon d’humanisme. Figure tutélaire, Samivel (1907-1992) n’aurait assurément pas désavoué Jean Claverie, lequel ne cache pas son admiration pour le maître des Contamines-Montjoie qui enchanta ses lectures d’enfance.

D’ailleurs, le septuagénaire Jean Claverie ne dédicace-t-il pas ce livre au village bourguignon de sa prime jeunesse, Palleau (Saône et Loire) ? Ainsi qu’à deux commerçants alors organisateurs du bal du 14 juillet : l’épicière de Palleau, Madame Guyenot, et le cafetier, Monsieur Berry.



En bref

1 one-shot (illustration jeunesse)
Une BD de : Jean Claverie
Édition : Albin Michel


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MNC

Vénère Uderzo, exècre Pesch, adore Sfar mais à la tévé, croit que Thibert est le meilleur repreneur de Blake et Mortimer. Pour le reste, tout se discute.

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Un commentaire sur "Le dernier Bal"

  • 3 Juin 2021

    Merci MNC pour cet article de qualité au sujet de mon “Dernier Bal”.
    Voilà qui donne envie de continuer et d’en faire une série.