« Jazzman » : interview de Jop à Quai des Bulles


Ecrit par BennyB le 16 novembre 2022

Avec « Jazzman », l’auteur rennais Jop nous invite à une balade groovy dans les rues enneigées de New Story City.

Un superbe roman graphique, à la fois drôle, mélancolique et plein d’espoir, sur fond de musique jazz.

Nous avons rencontré Jop à Quai des Bulles, qui nous raconte tout cela !

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire un album d’aventures sur fond de jazz ?

Je ne voulais pas faire un documentaire sur le jazz, mais créer une fiction autour de la musique. La motivation était aussi de représenter la musique graphiquement, trouver des astuces visuelles plus originales que juste des notes qui sortent d’un instrument. Le choix des couleurs bleu et noir est bien sûr une allusion au label de jazz « Blue Note ». Le découpage des cases évoque aussi des notes sur une portée, des montées, des descentes, des blancs, les silences. Ce sont des codes graphiques qu’on peut vraiment associer au son.

 

On peut voir le personnage du maire Tony Scrump comme un mélange d’Emmanuel Macron et de Donald Trump ?

Oui, c’est un puzzle d’hommes politiques. Je trouvais cette représentation un peu caricaturale au début, mais je me suis rendu compte que la réalité dépasse parfois la fiction. Certaines phrases que Donald Trump a réellement prononcées sont tellement caricaturales que cela devient difficile de faire mieux ! (rires)

Tony Scrump est jeune, beau gosse, il aime la technologie et la nouveauté. Il représente le mauvais côté de cette modernité. Par opposition, le personnage un peu geek de Billie est tout aussi passionné que lui, mais elle ne rêve pas du même avenir. C’était un moyen de montrer qu’il y a plusieurs façons d’envisager la modernité et le futur. Ce n’est pas simplement la tradition contre la technologie.

 

Les personnages évoluent dans des quartiers en démolition. On peut y voir un symbole de la standardisation de la société ?

A Rennes comme dans beaucoup de grandes villes, on assiste à une gentrification. On essaie d’assagir les rues, de fermer certains lieux de culture et de fête. Dans ces conditions, il devient difficile à des petits groupes de donner des concerts et de se faire connaître. Les petits bars et lieux de concerts sont nécessaires à la diversité et à la créativité.

Il est aussi difficile de parler du jazz sans aborder la question de la discrimination raciale, de la classe sociale. Billie croise à un moment des personnes qui vivent dans la rue, bloquée entre leur ancien quartier en démolition, et un autre en construction. Mais elles ne pourront pas y acheter ou louer un appartement, car c’est destiné à une classe plus élevée.

 

 

L’histoire évoque la standardisation des villes, mais aussi de la musique ?

Oui, dans cette ville imaginaire, une radio unique diffuse de la musique. Tous les médias indépendants sont interdits. On peut transposer cela à la diffusion d’informations. S’il n’y a qu’une seule source, s’il n’y a pas de regard critique, c’est problématique.

J’ai lu des articles qui expliquaient que la musique peut être bénéfique pour le cerveau, notamment pour les personnes malades. Je trouvais cela intéressant de se demander : et si les ondes radios pouvaient aussi avoir un effet négatif ? On m’a fait remarquer que cela fait écho aux réseaux sociaux. Est-ce que c’est vraiment moi qui vais choisir la musique que je veux écouter, ou mon cerveau a-t-il été manipulé par les algorithmes qui me proposent telle ou telle chose ?

 

Les dessins de la ville sont très détaillés. Quelle est ta méthode de travail ?

Je travaille sur du format A3 à l’encre. Je fais le découpage à la fois sur croquis et sur tablette. Cela permet de faire facilement des zooms ou des changements d’angles. Je me suis beaucoup servi de pinceaux un peu abîmés pour donner une texture. J’ai travaillé comme pour un album en noir et blanc, puis j’ai mis du bleu à la place du gris. Je scanne les encrages, puis je travaille la couleur en numérique.

 

On croise aussi des personnages qui ont vraiment existé : Moon Dog, Calypso Rose, Nina Simone, ….

Ce ne sont pas vraiment eux, mais ce sont des clins d’œil très appuyés à ces personnalités. Au-delà de la caricature physique ou vestimentaire, je voulais en faire des personnages mystiques qui représentent l’esprit de la musique. D’autres artistes comme Sun Ra ou John Coltrane ont eu cette envie de toucher le cosmos avec leur musique.

Il y a aussi une sorte de loufoquerie avec le personnage un peu « vaudou » de Screamin’ Jay Hawkins. Son côté imprévisible et sa folie douce sont aussi une métaphore de ce que peut être le jazz. Cette touche d’humour permet d’alléger le sujet. Il y a aussi un peu de fantastique et de magie là-dedans !

 

La fin est très belle. On peut dire que c’est un album positif ?

Je voulais toucher différentes ambiances du jazz : il y a des balades très blues, lancinantes, un cri du cœur sur les maux de la vie quotidienne. D’un autre côté, il existe aussi des morceaux très festifs, par exemple avec le style New Orleans, avec des fanfares. L’album se termine là-dessus.

Le but n’était pas de dire que c’était mieux avant. Le jazz a connnu plein d’époques, et a été fusionné avec plein de styles plus modernes. J’évoque un morceau pour chaque chapitre, il y a même du hip-hop avec Kendrick Lamar.

Le personnage de Billie présente une synthèse de tout cela. Elle est entourée d’anciens comme Birdy Jones qui restent bloqués dans la nostalgie. Elle préfère regarder vers l’avenir !

 

Écouter notre chronique radio sur France Bleu Armorique dans l’émission « Culture-S » :



En bref

Un one-shot
Une BD de : Jop
Édition : Albin Michel


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BennyB

Co-fondateur de la Loutre Masquée, il est né en 1743, un samedi. Son but dans la vie : rendre le monde meilleur, avec des sites internet à base de loutres. Et il trouve que Spirou a vachement plus la classe que Tintin, quand même.

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