L’héritage fossile : interview de Philippe Valette à Quai des Bulles !


Ecrit par BennyB le 22 novembre 2024

L’héritage fossile“, c’est un petit OVNI, un bel objet carré qui nous raconte l’odyssée de spationautes à la recherche d’une nouvelle planète pour l’Humanité.

Son auteur Philippe Valette nous raconte les origines de cet album très réussi, qui mélange science-fiction et questions métaphysiques !

 

 

Bonjour Philippe ! On vous a connu avec les albums humoristiques “Georges Clooney” ou encore “Jean-Doux et le mystère de la disquette molle“. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’humour absurde à une histoire de science-fiction ?

Je pense que ces envies existent et cohabitent depuis toujours. J’ai une culture qui n’est pas du tout centrée sur un seul genre en particulier, et je ne me suis jamais vu raconter qu’un seul type de récit. Je travaille depuis longtemps sur des projets persos qui sont sérieux ou pas. Le hasard a fait que la première chose qui a été montrée au grand public et qui a été publiée était un truc d’humour. Cela aurait pu être dans l’autre sens.

J’avais commencé à développer un petit projet de SF il y a longtemps, en gribouillant dans le train. C’est une petite histoire de cosmonaute bloqué sur la lune. Je trouvais cette histoire intéressante. J’ai commencé à en faire un court-métrage 3D, qui n’avait pas abouti.

Après “Jean-Doux“, je me suis posé la question de ce que j’avais envie de faire. Ce qui me motive, c’est de découvrir de nouveaux outils, de nouvelles façons de raconter. Je suis vraiment attiré par des choses que je n’ai jamais faites. J’ai alors repensé à ce projet de science-fiction que je n’avais jamais terminé. L’envie était toujours là de faire de la SF, c’est un genre que j’aime beaucoup. A l’époque, je baignais dans beaucoup de documentaires de vulgarisation scientifique. J’ai un papa qui a beaucoup lu de Hubert Reeves. J’aime aussi Stephen Hawking, Carl Sagan, Neil deGrasse Tyson ou les pastilles animées de Kurzgesagt sur YouTube.

Je voulais faire passer des questionnements sans forcément apporter des réponses, mais simplement amener les lecteurs à se les poser avec moi.

 

En lisant cet album, on pense forcément à la “La planète des singes” ou à “Interstellar“. Vous êtes-vous inspiré de films, de romans ?

Effectivement, j’ai lu le roman “La planète des singes”, étant ado. J’ai aussi regardé “2001, l’odyssée de l’espace“, qui est pour moi la référence absolue. Je l’ai vu très jeune, ça m’a vraiment marqué. Traumatisé même, pour toutes les questions métaphysiques que cela pose. C’est un film qui te dit qu’il n’y a pas de réponse à tout et qu’on ne comprendra pas forcément ce qu’on fait là, pourquoi on est là. C’est vraiment très puissant ce qu’il fait ressentir.

Sunshine” de Danny Boyle est aussi un film de science-fiction que j’aime beaucoup. La première partie est vraiment très puissante. Je trouve qu’il a vraiment réussi à montrer la puissance du soleil de façon spectaculaire. Tu te sens vraiment microscopique dans ce film.

 

Certains passages m’ont fait penser au roman “La Route“, avec ce père et la fille qui font du chemin ensemble dans un monde dévasté.

Je pense qu’il y a une inspiration, mais qui est indirecte. Cela viendrait plutôt de “The Last of Us“, qui est lui-même très inspiré de “La Route“. Dans “The Last of Us“, la relation filiale est un peu plus viciée que dans “La Route“, où on a vraiment un père très aimant qui veut protéger son fils à tout prix.

Dans “The Last of Us“, le mec aide cette fille, s’y attache petit à petit, mais pas pour les bonnes raisons. Il est incapable de revivre un traumatisme, et il va se mettre à aimer cette fille parce qu’elle remplace celle qu’il a perdue 25 ans plus tôt. Jusqu’au point de ne pas la laisser faire ses propres choix. Je trouvais ça vraiment hyper intéressant. Ce que je voulais vraiment montrer dans ce bouquin, c’est ce qui peut se cacher derrière de bonnes intentions.

Dans mon histoire, le personnage de Reiz se drape de bonnes intentions en disant “Je veux aller coloniser une autre planète pour offrir à l’humanité un deuxième foyer“. Mais en réalité, il est motivé par quelque chose qui est le domaine de l’ego, de l’humilité, de l’ambition personnelle. C’est quelqu’un qui est vraiment effrayé par l’idée de disparaître et de mourir, et qui veut devenir immortel dans tous les sens du terme.

 

L’album parle aussi beaucoup d’hibernation, de biostase. Vous avez fait des recherches scientifiques pour écrire cet album ?

Oui, j’ai passé beaucoup de temps à lire des bouquins sur le voyage dans l’espace, les différentes théories et ingénieries sur les nouveaux moteurs qui permettraient de se déplacer plus vite. J’ai essayé d’être le plus crédible possible, avec des éléments qui existent maintenant, ou des recherches qui sont en train d’être faites. Je m’étais même abonné à une newsletter d’une entreprise qui vend ses services pour se faire conserver après sa mort. Ils continuent de m’envoyer des newsletters tous les jours d’ailleurs, c’est super cool !

La technique de cryogénisation que j’évoque dans le livre est inspirée du tardigrade, ce petit animal microscopique qui est presque increvable. Ils arrivent à rentrer dans une sorte d’état de stase, et peuvent survivre des centaines d’années. Après, on les remet dans un milieu sain. Ils se re-développent. Ils sont hallucinants !

 

 

Au niveau des dessins, quelle est la part de crayonné et de numérique ?

Les décors sont entièrement réalisés en 3D. Les personnages sont mi-numériques, mi-crayonnés. Je les ai tous modélisés en 3D. Je les mets dans la bonne position et ensuite, je redessine par-dessus le visage pour qu’il ait une expression un peu organique. Je rajoute plein de petits éléments au dessin pour lui donner un aspect plus 2D, plus sympathique. Après, j’harmonise le tout.

Je pense que c’est très inspiré du film d’animation, dans lequel je travaille. J’ai une “déformation professionnelle”. Je pense que les inspirations graphiques viennent plus du film d’animation que de la bande dessinée.

 

Les spationautes ont tous une couleur de peau différente. Ces couleurs ne sont pas forcément réalistes, c’est une volonté ?

Oui, cela répondait à plusieurs envies. Je savais que le vaisseau spatial allait être un huis clos. On allait souvent être dans la même ambiance colorée. Elle allait être un peu terne, un peu monochromatique. Les peaux différentes des personnages, assez vives, m’ont permis de ramener des touches de couleurs. C’est un choix qui était déjà motivé par des raisons graphiques, pour que ce soit joli. En plus, cela permet de symboliser les points de vue différents qu’ils incarnent.

 

Combien de temps vous a pris la création de cet album ?

J’ai signé chez Delcourt en 2019 et j’ai fini en 2024. Le gros du travail a été l’écriture du scénario. Si je caricature, je dirais que j’ai passé 4 ans à écrire l’histoire, et 1 an à faire la BD. Imaginer l’histoire a été très compliqué. Je suis parti de thématiques très larges, comme les limites de la civilisation ou la place de l’humanité dans l’univers. C’étaient des thématiques, mais pas des idées d’histoire !

Je ne voulais pas non plus être trop didactique, je voulais éviter que les personnages évoquent à voix haute les thèmes que je voulais aborder. Il fallait qu’on raconte une histoire, qu’on les vive, mais que les questions soient sous-jacentes, en sous-texte. C’est subtil, il faut trouver la façon d’aborder le truc !

 

Avez-vous d’autres projets à venir ?

J’ai plein d’idées, mais rien de concret pour l’instant. Je suis retourné travailler dans l’animation, en studio, parce que malheureusement, c’est difficile de vivre de la BD. J’ai fait une pause de 5 ans pour réaliser cet album, il faut donc renflouer les caisses. Mais j’ai plein idées de nouvelles BD très différentes !

 

Merci Philippe ! On espère vous relire bientôt !

 



En bref

Un one-shot
Une BD de : Philippe Valette
Édition : Delcourt


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BennyB

Co-fondateur de la Loutre Masquée, il est né en 1743, un samedi. Son but dans la vie : rendre le monde meilleur, avec des sites internet à base de loutres. Et il trouve que Spirou a vachement plus la classe que Tintin, quand même.

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