Ecrit par Emma le 16 novembre 2018
Pendant le festival Quai des Bulles cette année, nous nous sommes attardés sur le stand de Guymic, une petite maison d’édition basée à Saint-Suliac. C’est là que nous avons fait la connaissance d’un super duo : Giorgia Casetti et Éric Le Berre.
Ensemble ils ont publié tout récemment le premier tome de « Océane et la Fée des Houles », une BD jeune public (mais pas que !) qui revisite les contes et légendes féériques… dans la région malouine ! La boucle bretonne est bouclée, leur motivation et leur complicité faisait tellement plaisir à voir que nous n’avons pas pu résister à l’envie de les interviewer !
Ce qui se dégage de ce duo, la dessinatrice Giorgia Casetti et le scénariste Éric Le Berre, c’est avant tout une extrême bienveillance, une précaution de l’autre, une complicité touchante et une admiration réciproque de leurs talents.
En les accueillant, nous n’avions pas encore lu leur BD… mais nous avions déjà pu savourer en détail les traits de Giorgia lors de dédicaces au festival Pré en Bulles !
La Loutre Masquée : De quoi parle votre album ?
Éric : L’héroïne est une petite fille de 10-11 ans, qui se retrouve, après quelques évènements, bloquée dans le royaume des fées.
L’histoire se déroule à Saint-Suliac, un petit village à coté de Saint-Malo. Puis l’intrigue se déplacera ensuite vers Brocéliande, les lecteurs comprendront pourquoi le moment venu. Parce que bien sûr, tout est cohérent ! (rires)
La Fée des Houles, c’est une légende locale, qui n’est pas souvent traitée en BD.
J’avais en tête des scénarii autour de ces contes et légendes bretonnes, mais je souhaitais un dessin différent du mien.
Giorgia et moi avions des références communes en terme de narration et de dessins. Cela a donc été tout de suite une association de talents.
Au début, nous voulions créer une histoire courte, mais rapidement nous avons compris qu’il fallait étoffer cet univers et le développer. Nous nous sommes donc mis d’accord sur beaucoup de choses au sujet du scénario, nous avons découpé l’histoire en plusieurs volumes. Le tome 1 pose l’histoire et l’univers qui se met doucement en place. On rentre dans le royaume des féeries. Ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit d’une féerie d’aujourd’hui, et que ce sont des enfants qui découvrent ce royaume.
Ainsi, cela ouvre un pont sur quelque chose de plus dense, en terme de narration, dans l’univers des contes et légendes.
Les houles font référence à la mer, au moment des grandes marées à Saint-Malo, c’est très impressionnant ! Il existe tout un folklore autour de cela. Nous avons donc choisi un angle d’interprétation que nous avons développé : La fée des houles est censée contrôler ces forces marines. Elle habite dans une caverne, avec tout un petit peuple autour d’elle, un peu comme sa cour. Elle est méfiante vis à vis des humains, et elle n’accepte pas que des enfants viennent dans son monde. C’est un point de rupture pour elle.
La Loutre Masquée : Cette histoire s’adresse à un public plutôt jeune ?
Éric : Le but, c’est que ce soit accessible à tout le monde : être lisible par des enfants bien sûr, mais une seconde lecture par un oeil averti est également possible. Personnellement, je suis d’avantage de l’école Tintin en BD, donc j’aime ce qui est abordable pour toutes les générations.
La Loutre Masquée : D’où venez-vous ? Qu’avez-vous fait avant ? Quels sont vos rêves d’enfants ?
Giorgia : C’est ma baby-sitter qui m’a fait découvrir mes premières BD quand j’étais enfant et ado. Elle était passionnée, me racontait notamment le festival de Lucca (NDA : Le festival de bande dessinée de Lucques (Lucca Comics & Games) est le plus grand festival de bande dessinée d’Europe et d’Italie et le deuxième du monde après le Comiket à Tokyo. Source : wikipédia). Je n’ai donc pas commencé avec le Mickey traditionnel comme les autres dessinateurs italiens.
Je suis italienne, je viens de Florence, et j’ai commencé à dessiner au lycée, ce qui m’a permis de travailler le dessin, de découvrir les techniques.
Après cela, j’ai eu une bourse pour l’école de BD : l’Ecole Internationale Comics à Florence.
Autour de cette école, il y a cette petite communauté, qui permet de développer son réseau et d’entrer dans les ateliers des autres dessinateurs. On se retrouvait pour travailler et dessiner tous ensemble tous les jours.
Je suis venue vivre à Paris, mais je n’arrivais pas à me mettre dans une grande dynamique : je faisais des illustrations, de la couleur mais c’était très lent. Puis, j’ai été prise en résidence à Angoulême. Après cela, tout est devenu plus agréable, et cela donne confiance en soi ! Et pile poil, c’était l’été où j’ai rencontré Éric, dans un festival au Luxembourg. Je terminais mon projet de résidence, Éric m’a proposé de travailler ensemble sur Océane et j’ai tout de suite accroché.
La Loutre Masquée : Tu as déjà publié d’autres choses ?
Giorgia : De la mise en couleur pour Delcourt et une BD historique avec François Villon, une adaptation d’un roman de Jean Teulé, en 3 tomes. En Italie, j’ai dessiné des petits livres pour Arnoldo Mondadori Editore, l’équivalent de Gallimard en France.
Mais Océane est ma première BD en tant que dessinatrice.
Éric : Elle a aussi fait des illustrations pour des coiffes bretonnes pour un ouvrage vers chez nous.
La Loutre Masquée : Et toi Éric, quel est ton parcours ?
Éric : J’ai travaillé dans la communication visuelle, donc à la base je faisais des logos. J’ai développé des projets, j’ai publié plusieurs BD de Fantasy : « Les Nains de Martelfer », une autre avec mon frère, donc pas mal de BD à droite à gauche. J’avais plein d’histoires en tête.
Guy Michel m’a proposé de rentrer dans la boîte d’édition Guymic pour faire de la communication. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Je faisais les maquettes des bouquins, je suivais tout de A à Z, c’était hyper passionnant et enrichissant. Quand je lui ai proposé le projet avec Giorgia, il a dit tout de suite dit oui !
Giorgia : Avoir la BD dans les mains, c’est le symbole de l’effort : Quand je suis arrivée à Paris, j’ai fait du baby-sitting, tous les travaux possibles, et de la librairie pendant presque 3 ans. Ce qui m’a beaucoup plu, mais j’ai pris la décision de prendre du temps pour concrétiser mon projet : le dessin de BD. Donc aujourd’hui, voir cet album terminé me soulage, et en même temps me donne envie de faire plus !
La Loutre Masquée : Combien de temps il vous a fallu pour faire cet album ?
Éric : Environ un an. Pour les prochains, ça sera plus rapide. On se connait désormais. Je sais que Giorgia travaille vite, ce que moi, je suis incapable de faire en dessin.
Giorgia : Je vais pas si vite que ça, mais une fois que je connais bien le personnage, ça va mieux.
Éric : Au début, quand je lui faisais un story-board, je lui faisais la description de chaque case pour se caler. Au bout d’un moment, non seulement je lui faisais confiance, mais sans aucune indication, elle me renvoyait quelque chose encore mieux que ce que j’avais imaginais !
La Loutre Masquée : Vous n’habitez pas dans la même ville. Vous vous organisez comment pour travailler à distance ?
Éric : Oui, avec internet. Moi, je suis à Dinan.
Giorgia : C’est sympa de venir en Bretagne quand même de temps en temps… pour voir la mer !
Éric : Nous sommes toute une équipe, donc maintenant qu’on se connaît mieux, on passe du temps ensemble, on sort, elle découvre aussi le coin.
Giorgia : Franchement c’est magnifique !!!
Éric : Giorgia a découvert le village de Saint-Suliac, pour prendre des photos et pouvoir s’imprégner du contexte de la BD. Dans l’album, on retrouve la Vierge de Grainfollet, la vieille cabane de pêcheur, etc. Ce sont des lieux qui existent vraiment, donc on ne peut pas tricher !
La Loutre Masquée : Pouvez-vous nous parler de votre maison d’édition ?
Éric : Nous sommes édités par Guymic Edition, une maison de Saint-Suliac, donc on ne peut pas faire plus local ! C’est distribué au niveau national en librairie. Cela permet aussi de faire découvrir la ville. On fait d’une pierre deux coups !
A Quai des Bulles, nous faisons notre troisième avant-première (après Pré en bulles et Château Gonthier). Nous sommes contents de voir que le premier public qui vient à nous est composé principalement de petites filles. C’était le premier public qu’on visait. Les premiers retours sont très positifs.
Giorgia : Nous avons aussi créé une version collector de l’album, que l’on appelle la « version bleue ». La couleur bleue est dominante, et elle contient aussi un dossier supplémentaire, des croquis des personnages et des interviews. C’est intéressant de voir qui est d’avantage attiré par cette version. On pensait que la version bleue serait plus pour les pros, mais en fait cela fonctionne au coup de cœur. Même des enfants choisissent la version bleue ! Etant donné que la version bleue est en tirage limité, je pense que ça va partir vite.
Ce retour des festivals, c’est une bonne surprise, cela m’a fait du bien !
Éric : Je suis très exigeant en terme de couleurs pour la BD. La mise en couleurs peut changer toute l’ambiance d’une BD. J’ai été impressionné par le travail de Giorgia. C’est rare un si grand talent de coloriste.
Giorgia : Même si, à un moment, j’avais oublié qu’elle avait les cheveux bleus !!!
Éric : Oui, mais c’est un détail ! 😉
La Loutre Masquée : Avez-vous d’autres projets en dehors de cette BD ?
Éric : Je suis sur d’autres projets, toujours avec Guy Michel, mais pour l’instant on ne communique pas dessus, on laisse le temps que tout se mette en place. On a des projets aussi autour du thème des contes et légendes.
Giorgia : De mon coté, j’ai un projet perso, celui que j’avais développé à Angoulême en résidence. Mais je le garde au chaud : je donne la priorité à Océane ! Etre dessinatrice, c’est un peu un « temps plein », même si je fais de temps en temps des illustrations. Mais, tant que j’ai encore les personnages dans les mains, mon but est de donner une suite à Océane. On commence le story-board du deuxième album avant la fin de l’année. J’ai hâte, je suis un peu obsédée par le story-board !
Éric : Oui, les tomes 2 et 3 sont signés et seront publiés !
Nous aussi, nous avons hâte de lire la suite ! Voilà un joli cadeau de Noël, avec en prime une version luxe « bleue » qui plaira assurément à tous les âges !