Alter Ego

Ecrit par Eiffel le 21 juin 2012

Oui, on peut lire Alter Ego en commençant par n’importe lequel des 6 albums parus en 2011. C’est une des originalités d’une série qui a affiché bien d’autres qualités dont sa richesse en personnages, un scénario plein de surprises et de rebondissements et une qualité graphique plus qu’honnête pour un ensemble produit par 9 personnes. On en redemande, les auteurs aussi…

Un concept original

6 personnages, 6 albums

Ils sont 6 et ils ne se connaissent pas, pourtant ils vont être  confrontés à une même énigme, liée à une découverte scientifique d’une portée si phénoménale qu’elle engendre un complot à l’échelle du monde. 6 personnages, 6 entrées différentes dans ce trhiller qui, originalité subtile, peut se lire dans n’importe quel ordre. Car les six pièces du puzzle étaient toutes prêtes et auraient pu sortir toutes en même temps, mais le coup global de l’opération aurait pu effrayer le lectorat. La série a donc débuté par “Camille” et “Fouad”, mais  si vous démarrez sa lecture aujourd’hui, vous pourrez commencer par “Park” ou “Darius”… Qu’importe et, si vous êtres forts en maths et en probabilité, calculez, cela fait 720 histoires possibles. Dément !

Dans ce concept original, “Alter Ego” fût incontestablement le thriller de 2011, un gros projet mûri au sein des éditions Dupuis pour marquer le public avec une de ces séries dont les albums sortent en rafales. Et oui, pas moins de six albums en sept mois pour“Alter Ego”, et un septième prévu en 2012 pour finaliser cette première saison.

Un travail d’équipe

Autour de Pierre-Paul Renders, le créateur de la série, une équipe de neuf personnes, organisée pour monter à bien l’opération. Denis Lapière (“Un peu de fûmée bleue”, “Le tour de valse” ou l’excellent “Page noire”) pour consolider le scénario et fluidifier la ligne narrative, Mathieu Reynès comme pilote de l’équipe de dessinateurs formée de Benjamin Benéteau, Luca Erbetta, Efa, Emil Zuga alors qu’Albertine Ralenti, assistée de Sébastien Hombel, produit les couleurs.

“Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, c’est sur cette citation de la Torah que Pierre-Paul Renders s’est appuyé pour introduire l’idée, la découverte essentielle qui est le moteur de ce trhiller. Chacun, dans le monde, possède des Alter Ego, juste quelques personnes qui sont autant de liens vitaux. Les perdre, c’est mourir à coup sur, d’un infarctus ou d’un cancer foudroyant. Les garder en bonne santé, c’est protéger sa propre santé. Inutile de dire que cette vérité scientifique est restée secrète et que beaucoup, oui, beaucoup d’hommes ont été pistés, fichés, catalogués, observés… L’ombre de Big Brother n’est pas loin, avec une énorme manipulation à l’échelle mondiale et les jeux de pouvoirs et d’intérêts qui vont avec.

ALter Ego : l'histoire de Camille

Camille, Fouad, Darius, Park, Noah et Jonas

J’ai commencé le lecture d’Alter Ego dans l’ordre chronologique de parution des albums et donc par “Camille”. Elle va avoir 20 ans, n’a jamais connu son père et se remet tout juste d’un avortement. Peu après s’être, une fois de plus, disputée avec sa mère, elle apprend sa mort dans un tragique incendie. À la quête du père vient alors s’ajouter l’énigme de la mort d’une mère qui, juste avant de décéder, aura seulement le temps de lui dire : “Trouve l’Ange”. Parapsychologue de renommée mondiale, Suzanne Rochant avait créé le Simorg, un labo financé par Kaïji Urasawa, PDG de U. Tech, une tentaculaire multinationale dont les recherches ciblaient la télépathie chez des jumeaux. Partie en Angola pour retrouver trace d’un père, Camille entre de plein-pied dans les secrets d’un projet scientifique où les expérimentations et les manipulations d’U-Tech et de Kaïji Urasawa sont tout bonnement criminelles. Elle devient vite la personne par qui le scandale peut faire vaciller la puissance mondiale et donc, en même temps, la cible prioritaire à éliminer ! De conception assez classique, avec un dessin un peu dans le style d’un Bruno Gazzotti, l’album est séduisant. C’est une mécanique bien huilée qui émerge, bien construite pour un tome d’introduction quasi idéal et une histoire qui dénonce, sur le ton de la fiction, les dérives de nos temps modernes et d’un business à tout prix.

 

Alter Ego : le courage de Fouad

“Fouad”ensuite, qui, lors d’une mission humanitaire en Colombie, découvre ce qui se cache derrière la croisade mondiale de vaccination contre le sida appelée World War To Aids ou WW2A. Dépistage, prise de sang, vaccination et tatouage sont en fait décodage de l’ADN, fichage et implantation d’un nano-traceur. Déjà plus de 600 millions de personnes dans le monde sont dans l’énorme base de données, la Global DNA Database, dont Fouad veut découvrir la véritable raison. Au péril de sa vie, devenant aux yeux du monde un terroriste, il va enlever Miranda Grynson, la Présidente de la Fondation WW2A, et tout faire pour qu’on découvre pourquoi Kaïji Urasawa et U-Tech implantent, tracent, enlèvent et séquestrent des citoyens du monde. Ce second album, palpitant à souhait, permet d’entrer encore plus vivement dans la trame de ce très bon thriller. On y croise au passage plusieurs autres personnages d’importance comme Noah, Camille, Jason ou Park.

 

Alter Ego : Darius, l'ange-gardien

“Darius” est un personnage rencontré avec “Camille”. Ce blessé de la vie (il a perdu femme et fils dans un accident) est ce qu’on appelle un ange gardien. Ici, on fait connaissance avec la Winguard, une société qui embauche dans le plus grand secret Archanges, Anges, Séraphins et Chérubins, en fait des anges gardiens chargés de veiller, dans la plus grande discrétion, sur le bien-être de personnes disséminées dans le monde. Lorsque Darius passe son entretien d’embauche, Suzanne Rochant le pousse à refuser l’offre de la Winguard pour entrer à son service et veiller sur deux jeunes gens, Yashna, une jeune indienne miséreuse et Bram, un américain de Los Angeles, alcoolique, drogué et tout à fait incontrôlable. Deux jeunes qui comme Camille ont vingt ans et sont bien entendu ses Alter Ego. On découvre que Darius est la dernière personne en qui Suzanne Rochant place sa confiance. Elle lui explique d’ailleurs la “théorie des âme sœurs” : une source vitale partagée par plusieurs personnes ou Alter Ego. Trois, quatre, cinq ou six personnes, le nombre est variable pour chacun, mais ce qui est certain, c’est que chaque dégradation de santé, chaque décès, affaiblit les autres. Taraudée par des questions éthiques liées aux compromissions qu’elle a du accepter avec U-Tech et Kaïji Urasawa, elle donne à Darius le moyen d’informer Camille de son réel travail. Un enregistrement sur carte, une bombe  à retardement, juste pour faire éclater la vérité, au cas où ! L’humanité est sous contrôle, on le découvre ici encore un peu plus.

 

Alter Ego : le sacrifice de Park

“Park” nous fait visiter la résidence paradisiaque où l’on veille sur certains Alter Ego. C’est Fouad qui nous a fait découvrir ce lieu secret des Bermudes où sont amenés des gens enlevés en Colombie, en Asie, en Afrique. Park, lui, a été soustrait à sa famille en Corée du Sud. Croyant organiser une plongée pour un touriste australien, il s’est en fait jeté dans les filets de Jason, un homme de main de U-Tech et de la NSA américaine. Depuis, il vit dans un oubli total de son passé, drogué et vivant dans une joyeuse insouciance. Un jour pourtant, il est assailli par d’étranges souvenirs. C’est le petit grain de sable qui vient se ficher dans les rouages trop bien huilés de l’organisation tentaculaire. Il va réussir à s’enfuir, grâce à la présence de Fouad, avec Jason sur leurs basques. D’autres compromissions émergent, d’autres états d’âmes aussi jusqu’à un ultime sacrifice.

 

Alter Ego : Noah, le pouvoir.

Alter Ego : Noah, le pouvoir.

“Noah”, c’est la confirmation dans la série des enjeux politiques puissants et inavouables. Noah est le fils du Président des Etats-Unis. S’il tente de se suicider, il le doit à ces manipulateurs d’U-Tech et de la NSA qui n’ont pas compris que le psychologique a aussi son importance dans les liens entre “âmes sœurs”. Si celles de Noah dépriment, ce dernier déprime. Grave, au point de tenter de mettre fin à sa vie ! Il faut donc repérer, protéger et même manipuler ces Alter Ego qui, bien souvent, sont des gens qui gagnent à être extraits de milieux défavorisés voire dangereux. Du moins, voilà quelques raisons de se donner bonne conscience quand on joue avec la vie privée des autres, et même la vie tout court. Car la NSA a bien compris l’intérêt de repérer les âmes sœurs : repérer et supprimer des Alter Ego isolés dans le monde et donc faciles à atteindre, c’est se donner la possibilité de faire mourir très vite un ennemi qui y est relié. Noah l’a vite compris et sait qu’en contrôlant la NSA et Kaïji Urasawa, il va beaucoup s’amuser. Voilà une partie d’échecs qui s’annonce cruelle et mortelle !

 

Alter Ego : Jonas,

“Jonas” est le sixième tome paru. On continue de pénétrer toujours plus du côté très obscur de cette histoire. Jonas et Jason sont des jumeaux, ils ont fait partie des recherches de Suzanne Rochant, spécialiste de la télépathie gémellaire. Aujourd’hui, ils sont utilisés par Kaïji Urasawa pour repérer les Alter Ego d’une cible précise. Une simple mèche de cheveu suffit et leur puissant pouvoir les met sur la piste de ceux qui y sont reliés. Jonas croit qu’il travaille dans un intérêt scientifique, pour aider les travaux de sa chère Suzanne ; Jason, lui, a déjà basculé de l’autre côté et sait que les gens qu’ils cherchent ont de grandes chances de devenir des victimes. Jonas est naïf, Jason est pragmatique. Mais les mensonges de Kaïji Urasawa pour les manipuler finiront par les faire se lever l’un contre l’autre, dans le drame d’un incendie, celui bien sûr qui met fin à la vie de Suzanne Rochant. La boucle est bouclée…

Une série passionnante

Lorsque j’ai fait la présentation de cette série sur le site d’Imaginaire La Yozone, j’ai pris le pari que cette série rencontrerait le public et donc le succès. Pari réussi puisqu’après un 7e album de conclusion à ce premier cycle (La communication sur le sujet a cruellement manqué, de la part des auteurs comme de l’éditeur, depuis la parution du 6e album, “Jonas” en octobre 2011. On sait, seulement depuis mai 2012, que l’album s’intitulera “Ultimatum” et paraîtra le 21 septembre), les auteurs et les éditions Dupuis ont annoncé travailler à une seconde saison. Et on le sait, les éditeurs ne sont pas des philantropes !

Alter Ego - Ultimatum en septembre 2012

Ce qui marque pour Alter Ego, c’est un assez joli tir groupé réunissant les propos flatteurs de la critique, des libraires et du public. Le résultat d’un travail d’équipe, monté autour d’une idée intéressante de Pierre-Paul Renders qui a été travaillée comme dans un studio avec la volonté de donner une unité graphique (plutôt réussie, même si j’ai moins aimé le travail d’Efa sur “Darius” et de Zuga sur “Jonas”) à un ensemble  multi-mains. Un graphisme bien dans l’esprit de la BD franco-belge, navigant entre semi-réalisme et cartoon (esprit Dupuis), pour une histoire forte  jouant beaucoup sur le poids des révélations, sur le suspense plus que sur l’impact de scènes d’action. A chaque album un personnage clé, à chaque album de nouvelles révélations et sans cesse un scénario qui s’épaissit pour un plaisir quasi jubilatoire.

Camille, Fouad, Darius, Park, Noah ou Jonas ? Choisissez par quel personnage vous découvrirez l’ampleur du complot pour entrer dans cette très bonne série conseillée pour tout public.

“Alter Ego” a reçu le Prix Saint Michel du meilleur scénario. Il a été décerné le 7 octobre 2011 à Pierre-Paul Renders et Denis Lapière, lors du “Comics Festival 2011” de Bruxelles.

En bref

 Série : 6 albums parus, T7 en septembre 2012
Auteurs : Pierre-Paul Renders et Denis Lapière, Benjamin Benéteau, Luca Erbetta, Efa, Emil Zuga, Albertine Ralenti et Sébastien Hombel

Editeur : Dupuis

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